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La réforme de l'administration électronique à Madagascar

Auteur : Zoarinandrasana Arlène RASAMOELINA, Conseillère d’État à Madagascar

La gouvernance publique à Madagascar est passée par trois périodes majeures. Entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, la gouvernance fut marquée par la concentration et la centralisation des pouvoirs entre les mains de l’administration centrale. Au début des années 1990, une gouvernance d’inspiration libérale a établi le désengagement de l’État des secteurs productifs et commerciaux pour se consacrer principalement à la gestion des affaires publiques.

De la deuxième moitié des années 1990 jusqu’à ce jour, la politique publique et les programmes économiques sont élaborés autour de la notion de « bonne gouvernance ». L’appropriation de cette notion s’élargit avec les notions de performance, d’obligation de résultat, de libéralisation, de transparence et d’imputabilité.

Dès lors, toute restructuration de l’administration publique se pose désormais en termes de transparence, de redevabilité et de participation citoyenne.

Une restructuration s’est en effet imposée suite aux critiques récurrentes sur l’inefficacité de l’administration publique, les lenteurs de l’administration et son coût, la corruption qui persiste à chaque étape du traitement d’un dossier et dans presque toutes les institutions. Des insuffisances en matière de gestion des ressources humaines et un cloisonnement des politiques, stratégies et structures caractérisent le fonctionnement de l’administration et des institutions. L’inadéquation du système de finances publiques et la faiblesse des revenus publics réduisent l’efficacité de l’État dans son rôle développeur.

Avec l’avènement de la régionalisation en 2004, le développement économique et la consolidation ou la modernisation de l’État se conçoivent désormais avec l’usage des technologies, l’objectif étant d’une part, d’améliorer l’organisation et le fonctionnement de l’administration (et partant, l’efficacité de l’action administrative et la qualité de la gestion publique), d’autre part, d’améliorer les relations entre l’administration et les administrés (et donc, les services rendus aux citoyens), et enfin, de simplifier l’organisation de l’administration de l’État. Ce dernier s’est ainsi engagé à introduire le pays dans la société de l’information, nouvelle voie d’accès au savoir, aux échanges et au développement[1].

La gouvernance électronique (e-gouvernance) a en conséquence vu le jour. Ce processus est de surcroît présenté comme étant le meilleur instrument pour, d’une part, instaurer la confiance du citoyen dans la gestion des affaires publiques, et d’autre part de raffermir la relation de confiance légitime entre gouvernants et gouvernés.

§ 1 – L’institutionnalisation de la gouvernance électronique : le Programme National E-Gouvernance ou PNEG

En 2005, les aspirations de Madagascar à l’administration numérique ont commencé à se cristalliser. La notion d’« e-gouvernance » a acquis une reconnaissance législative. Aux termes de la loi n°2005-023 du 27 octobre 2005 portant Réforme institutionnelle du secteur des télécommunications l’e-Gouvernance, l’e-gouvernance est défini comme : « Tout dispositif électronique qui cherche à promouvoir et à appliquer la gouvernance auprès des services de l’administration par le biais d’infrastructure publique ou privée, collective ou individuelle, et qui se traduit par la gestion informatisée de l’État et de ses rapports avec les citoyens sur toute l’étendue du territoire ».

En terme général, la conceptualisation de l’e-gouvernance a conduit Madagascar à des défis majeurs. La Grande Île s’est engagée à moderniser et à consolider son administration publique autour des axes stratégiques suivants : fournir un niveau de sécurité suffisant pour assurer la sûreté des personnes et des biens, renforcer l’État de droit, réduire la corruption, établir un processus budgétaire de l’État efficace et efficient, renforcer les prestations de services publics, décentraliser l’administration publique et enfin devenir une nation ouverte au progrès[2].

L’État a ainsi adopté un Programme National E-Gouvernance ou PNEG. Avec le lancement du PNEG, le gouvernement malagasy consent à la nécessité de mettre en œuvre une politique publique fondée sur le concept de la bonne gouvernance, de promouvoir la démocratie et d’intégrer progressivement le pays dans la société de l’information.

En 2006, un Programme National E-Gouvernance (PNEG) a été validé au niveau national. Concrètement, ce programme a pour objectifs de renforcer l’efficacité de l’administration par les TIC (administration électronique), d’améliorer les prestations de services publics par les TIC (services électroniques) et de dynamiser la participation citoyenne et l’interaction administration/citoyen par les TIC (démocratie électronique).

L’objectif global du PNEG est de garantir, par l’usage des TIC, l’intégrité de l’État, l’efficacité de l’Administration et la participation citoyenne privilégiée par la bonne gouvernance.

Suivant les trois axes stratégiques, à savoir l’e-administration, l’e-service et l’e-démocratie, diverses actions ont été élaborées.

A) L’administration électronique (e-administration)

L’objectif principal est d’améliorer la performance, la cohérence, la transparence et la compétence interne de l’administration par l’informatisation des activités de tous les services administratifs tant au niveau central qu’au niveau décentralisé.

L’administration électronique vise à :

  • moderniser l’administration tant sur le plan organisationnel que sur le plan des procédures et des mécanismes d’échange d’informations (gestion des ressources humaines, gestion des bases de données…) ;
  • promouvoir l’accès à l’information des citoyens sur leurs droits et devoirs dans les domaines variés de la santé, de l’éducation, de l’assainissement et d’autres prestations de base des services publics de manière à pouvoir entre autres lutter contre la corruption ;
  • assurer la transparence des informations, des décisions et des actions de l’État et des collectivités territoriales ;
  • rationaliser et accélérer les prises de décisions, en amont par la collecte des informations, leur stockage ainsi que leur traitement et en aval par le suivi et le contrôle de l’application des décisions suivant une boucle systémique qui intègre les feed-back venant des citoyens.

B) Le service électronique (e-service)

Quant à l’axe stratégique relative à l’e-service, il s’agit d’améliorer la qualité, la disponibilité, le coût, la réactivité, la prévisibilité dans les services publics à destination des usagers et contribuables par le déploiement de dispositifs TIC publics sur tout le territoire national. Concrètement, la stratégie est de restructurer et de réorganiser la gestion des affaires publiques pour permettre le regroupement des services et l’accès à des guichets informatiques uniques.

Le service électronique vise à :

  • sensibiliser la société civile / privée à l’usage des e-services ;
  • renforcer les structures de support pour les e-services ;
  • déployer les réseaux/dispositif TIC pour les e-services ;
  • développer les sites web/ portails d’information pour tous ;
  • développer les applications e-services pour tous/

C) La démocratie électronique (e-démocratie)

Concernant la démocratie électronique, l’objectif est de renforcer la démocratie par le déploiement de dispositifs TIC publics dédiés et accessibles en permanence aux citoyens. L’e-démocratie facilite l’accès des citoyens à un plus grand espace d’échanges d’information, de proposition et d’opinion susceptibles de déboucher sur l’amélioration des conditions de respect des droits fondamentaux. Il s’agit d’initier les débats nationaux en ligne, de recueillir les points de vue des citoyens et d’influencer les décisions des pouvoirs publics.  La sensibilisation de la société civile et du citoyen à vivre la démocratie électronique et à pratiquer le vote électronique (e-vote) se trouve au centre des actions stratégiques prévues.

La démocratie électronique vise à :

  • renforcer les structures de support pour l’e-démocratie /e-vote ;
  • déployer les réseaux / dispositifs TIC pour l’e-démocratie / e-vote ;
  • développer les sites web / portails d’information pour tous ;
  • développer les applications pour l’e-démocratie / e-vote.

Le programme a, en conséquence, pour ambition de convaincre le citoyen que l’e-gouvernance réduit les coûts de fonctionnement (consommation de papier, facture téléphonique…). Il facilite la prise de décision parce que les informations sont traitées et disponibles en permanence et en temps réel. Le programme renforce également l’efficacité et la transparence. En effet, population, agent de l’État et citoyen peuvent accéder aux informations nécessaires à la vie citoyenne. La disponibilité permanente des informations augmente la performance du système administratif et de ses agents et facilite l’accès aux services de l’État pour et aux citoyens, aux entreprises et aux acteurs sociaux. Tout citoyen comme tout acteur du développement est traité sur le même pied d’égalité en tant qu’administré pouvant en bénéficier. Enfin, le PNEG fluidifie la circulation de l’information, en particulier entre l’État et les acteurs sociaux. Le dialogue entre le citoyen et l’État est davantage développé par l’usage des TIC.

§ 2 – La structuration de la gouvernance électronique

Deux textes majeurs ont été pris pour la mise en œuvre de la stratégie, à savoir la loi n° 2005-023 du 17 octobre 2005 portant Réforme institutionnelle du secteur des Télécommunications et le décret n° 2005-327 du 25 mai 2005 instituant la Cellule du Développement de l’E-gouvernance (CDEG), l’Agence Nationale de Réalisation de l’E-gouvernance (ANRE) et la direction des systèmes d’information (DSI).

A) La Cellule du Développement de l’E-Gouvernance

La CDEG, l’organe stratégique, est rattachée à la Présidence de la République. L’ANRE est l’organe exécutif. Elle est, de ce fait, rattachée à la Primature. La DSI, quant à elle, est instituée au sein de chaque ministère sectoriel. Elle est chargée de mettre en œuvre le programme e-gouvernance au niveau de chaque ministère.

B) L’Agence Nationale de la Régulation et de l’Exécution de l’E-gouvernance

L’ANRE est un établissement public à caractère industriel et commercial, doté d’une personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière dont les nouveaux statuts sont fixés par le décret n°2015-1203 du 11 août 2015. Elle est placée sous la tutelle de la Présidence de la République, sous la tutelle budgétaire du ministère chargé du budget et sous la tutelle comptable du ministère chargé de la comptabilité publique.

L’agence a pour mission i) d’assurer la mise en œuvre de tous les projets e-gouvernance, ii) d’apporter son concours au renforcement des prestations des services publics par l’usage des technologies de l’information et de la communication dans la réalisation des réformes administratives (rationalisation des circuits et des traitements des activités administratives, mais aussi dématérialisation des procédures administratives) ; iii) d’informer le public par voie de large diffusion, notamment au moyen de son site Internet, de l’état d’avancement de la mise en œuvre des programmes nationaux de développement relatifs à l’e-gouvernance au sein de l’administration notamment en ce qui concerne les services rendus ou mis à la disposition des administrés, iv) d’assurer l’administration de l’intranet de l’État, des portails web de l’État, des services et applications de l’État dans le cadre de la réalisation des projets e-gouvernance, la formation et le renforcement des compétences techniques et professionnelles de tous les agents de l’État en matière d’e-gouvernance, l’application des normalisations définies par l’administration pour l’usage des technologies de l’information et de la communication ; et enfin, v) d’assurer la mise en place et la gestion des infrastructures, des procédures, des bases de données et des ressources de l’État en matière d’e-gouvernance et de négocier auprès des fournisseurs et des partenaires techniques et financiers tout contrat relatif à la réalisation et à l’extension de l’intranet de l’État ainsi que tous les projets e-gouvernance.

En réalité et à l’heure actuelle, les principales missions de l’ANRE sont d’offrir une bonne connexion réseau (Internet, intranet…) et une haute disponibilité du système d’information. L’agence est le fournisseur d’accès Internet des institutions et des ministères. Elle met en œuvre également les outils collaboratifs permettant de centraliser et de mettre en commun les diverses informations et données dont disposent les entités ou individus.

C) La Direction des Systèmes d’Information (DSI)

La DSI a été mise en place au sein de chaque entité d’État. Le décret du 25 mai 2005 a doté la direction d’un important pouvoir. Selon les termes du décret du 25 mai 2005, le Directeur de la DSI a le rang le plus élevé en ce qui concerne les postes relatifs aux Systèmes d’Information et à l’Informatique dans chaque entité de l’État. Il définit les stratégies et fait évoluer les systèmes d’information de l’entité dont il est en charge. Il définit une politique interne du système d’information en cohésion avec la stratégie générale de l’État et notamment avec le Programme National E-Gouvernance.

La loi n°2014-026 du 5 novembre 2014 fixant les principes généraux relatifs à la dématérialisation des procédures administratives a été le premier texte qui traite la gestion informatisée des données et l’accessibilité aux fonctionnalités des programmes de dématérialisation, la neutralité technologique, le paiement dématérialisé, la signature électronique et la certification électronique aux moyens de cryptologie pour garantir la sécurité des envois, des sources, des données, des messages utilisés à travers le programme de dématérialisation, l’équivalence fonctionnelle des documents sous forme électronique et sous format papier ou écrit à la main, la valeur probante des correspondances et des documents numériques et des échanges, la confidentialité et la communication des données et le stockage et archivage des documents.

§ 3 – L’application embryonnaire de gouvernance électronique

Concernant l’application et l’effectivité de l’e-gouvernance, depuis 2015, le ministère de la Fonction Publique, de la Réforme de l’Administration, du Travail et des Lois Sociales (MFPRATLS) et le ministère des Finances et du Budget (MFB), appuyés par différents acteurs internationaux comme la Banque africaine pour le développement (BAD) et l’Union européenne, développent une stratégie d’assainissement et de normalisation de l’administration et de gestion des fonctionnaires. L’objectif est d’améliorer cette administration et les conditions de travail des agents de l’État. L’Union européenne vient en appui au gouvernement malgache dans son projet de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences ou GPEEC.

A) Les réformes au sein du MFB

Si la plupart des projets demeurent encore embryonnaires, au sein du ministère des Finances et du Budget, les projets prennent vie et font office d’écran pour les autres ministères et institutions.

  • L’application e-VOY SMS

La création de l’application e-VOY SMS est l’une de ces réalisations. L’application e-VOY SMS, qui consiste à numériser les données pour le partage des informations, est opérationnelle depuis le 18 juillet 2016. Concrètement, elle permet aux fonctionnaires retraités, aux fonctionnaires en activité, aux prestataires de service et aux porteurs de la carte Fanilo ou SPECL (système de paiement électronique des dépenses en carburant et lubrifiant pour l’administration) de consulter des informations à travers le service de messagerie SMS. Il peut s’agir des virements, des situations des dossiers, des règlements des indemnités et des remboursements, des avis de crédit et des sorties de pensions ainsi que diverses informations liées à ces services. Les agents publics ne recevront plus des avis de crédit sous format papier qui ont occasionné des dépenses de 1,2 milliard d’Ariary, soit 3 070 035 €, en 2015.

  • Le SPECL (Système de paiement électronique des dépenses en carburant et lubrifiant pour l’administration)

Il convient de noter que le SPECL, lancé également en juin 2016, a remplacé le chèque carburant et lubrifiant (CCAL) qui a fait l’objet de nombreuses fraudes depuis des années. La mise en place de ce système de paiement électronique a pour objectifs de sécuriser la gestion des deniers publics, d’améliorer la qualité des services rendus aux usagers en simplifiant l’utilisation. Le résultat est positif si on tient compte de la diminution d’erreurs et de fraudes ainsi que la possibilité de traiter les informations en temps réel d’une manière fiable et exhaustive.

  • Le logiciel ROHI ( RessOurces Humaines Informatisées)

En outre, le ministère des Finances et du Budget a mis en place le logiciel ROHI ou RessOurces Humaines Informatisées, qui permet de recenser ses agents à travers la création de leur compte et de leurs pointages électroniques.

B) La réforme au sein de la fonction publique : recensement biométrique

En 2008, le ministère de la Fonction publique a procédé à un recensement physique qui a permis de souligner l’ampleur du phénomène de « fonctionnaires fantômes ». En effet, si l’on a recensé 118 000 agents, 168 000 personnes ont perçu des salaires mensuels durant la période de recensement ; soit 50 000 fonctionnaires fantômes occasionnant une perte de vingt milliards d’Ariarys (5 116 720 €) par mois.

Dès lors, depuis 2015, le ministère de la Fonction publique a mis en place un système de recensement biométrique des agents de l’État. Le projet est en perpétuelle évolution sous le contrôle de la direction des systèmes d’information du ministère et en collaboration avec la direction des ressources humaines et de l’appui du ministère des Finances et du Budget. Une plateforme constituée de 25 techniciens et des spécialistes en ressources humaines au sein du ministère des Finances et du Budget veille à ce que le logiciel respecte les normes d’informatisation et que son accès soit sécurisé.

En définitive, les réformes de l’administration publique à Madagascar se concrétisent jusqu’alors par la dématérialisation des données, le partage et la transparence des informations en ligne. La généralisation du système à tous les domaines publics est en projet.

Conclusion : la nécessité de moderniser et de démocratiser la gouvernance électronique

Les mécanismes formels de promotion de la bonne gouvernance existent dans le pays avec une panoplie de textes juridiques et d’institutions censées développer l’application et l’extension des instruments existants.

Néanmoins, son application demeure mitigée. La gestion publique gagne encore à être plus efficace, plus transparente et plus efficiente. Mais, la faiblesse de la gouvernance à Madagascar est surtout liée à l’inefficacité et l'absence d'effectivité des actions stratégiques prévues pour la mise en œuvre de la démocratie électronique. Aucune action publique ne propose aux citoyens de penser le les réformes de gouvernance et de participation citoyenne. Aucune véritable politique n’est mise en œuvre pour donner aux citoyens les moyens de faire résonner leur voix.

 

Date : 25 avril 2018


[1] Discours présidentiel, 2006, Atelier de validation du PNEG 2006-2009 : La bonne gouvernance.

[2] Plan d’Action Madagascar 2007-2012 : « Un plan audacieux pour un développement rapide », Novembre 2006.

 

Comment citer :

Zoarinandrasana Arlène RASAMOELINA, La réforme de l’administration électronique à Madagascar, IMODEV, 25 avril 2018, accessible à :http://cms.imodev.org/index.php?id=772.

Ce(tte) oeuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale 3.0 France.

Zo Arlène RASAMOELINA
Madagascar

Zoarinandrasana Arlène Rasamoelina est Conseillère d’État à Madagascar et docteur en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.