La réforme de l’administration numérique en République de Moldavie
Auteur : Alina Pogurschi
Située entre la Roumanie et l´Ukraine, la République de Moldavie est un pays de l´Europe de l´Est ayant une superficie de 33 843 km2 pour com 3 millions d´habitants. Sa capitale est Chisinau, sa langue officielle le roumain et la monnaie officielle le leu moldave.
La Moldavie a obtenu son indépendance le 27 août 1991 suite à la chute de l´URSS la même année. En raison d'une diminution de la production industrielle et agricole suite à la dissolution de l´Union soviétique, le secteur des services a pris de l´ampleur dans l'économie moldave et représente actuellement plus de 60% du PIB national.
La Moldavie est une République parlementaire : le Chef de l’État est le Président de la République et le Premier ministre étant le Chef de gouvernement. Cette répartition des pouvoirs est précisée par la Constitution de 1994.
§ 1 – Le contexte de la mise en place de l’administration numérique en Moldavie
La signature de l´accord d´association avec l´Union européenne en 2014 et dès lors l´affirmation du parcours pro-européen de la Moldavie a été essentielle à la mise en place de réformes modernisatrices (A). Le lancement de l´initiative pour un gouvernement électronique en 2010 est une manifestation significative de ce postulat (B).
A) L´affirmation du parcours pro-européen de la Moldavie
La position géographique de la Moldavie a toujours déterminé l´oscillation de sa politique entre l´est et l´ouest. Ainsi, après la chute de l´URSS, la Moldavie devait choisir entre d’une part, axer son parcours sur un partenariat avec la Russie et les États membres de la Communauté des États indépendants, et d’autre part, d’orienter vers une éventuelle adhésion à l´Union européenne.
Entre son indépendance et 2009, le pays a été principalement dirigé par les pro-russes regroupés autour du parti communiste. Depuis la mini-révolution du 7 avril 2009, la Moldavie est gouvernée par l´Alliance pour l´intégration européenne, un regroupement des partis pro-européens et pro-roumains.
Le 29 novembre 2013, lors d'un sommet à Vilnius, la Moldavie a signé un accord d'association avec l'Union européenne consacré au « partenariat oriental » de l'Union européenne avec les pays de l'ex-Union soviétique. La Moldavie a signé l'accord d'association avec l'Union européenne à Bruxelles le 27 juin 2014.
B) Le lancement de l´initiative pour un gouvernement électronique
L´initiative gouvernementale pour un gouvernement électronique a été mise en place en 2010, jetant les bases du lancement du processus de transformation électronique et numérique de la gouvernance en Moldavie[1]. Ainsi, en août 2010 a été créé le « Centre de la gouvernance électronique »[2], une institution publique subordonnée à la Chancellerie d´État, qui a pour tâche d´améliorer la gouvernance par l´application intensive des technologies de l´information[3]. Les objectifs de cette initiative consistaient à moderniser les services publics par leur numérisation, à rationaliser la gouvernance par le partage de données entre les autorités et les institutions du service public, à diversifier des canaux d´accès aux services publics, etc.[4]
En même temps, la Moldavie a rejoint en avril 2012 le Partenariat pour un gouvernement ouvert. En ce sens, le gouvernement a adopté en 2012 un plan d´action pour un gouvernement ouvert[5]. Le dernier plan d´action adopté est celui de 2016-2018 qui inclut des actions sur la transparence : transparence dans le domaine des acquisitions publiques ; transparence dans l´activité de l´administration publique et l´accès à des informations à caractère public, etc.[6]
§ 2 – La mise en place du gouvernement électronique en Moldavie
Bien que la Moldavie ait ancré le gouvernement électronique sur le modèle estonien (A), des différences importantes persistent entre les deux modèles. Celles-ci expliquent les faiblesses du modèle moldave de gouvernement électronique (B).
A) L´ancrage sur le modèle estonien de gouvernement électronique
En pratique, le modèle moldave de l’administration numérique a été calqué sur celui de l’Estonie. Le modèle estonien repose sur une plateforme de services numériques contenant des couches sous-jacentes : le système de registre de données permettant aux organismes publics de partager des données (X-Road), un système d´identification numérique et mobile (eID) utilisé par plus de 90% de la population, et une dernière strate offrant des services accessibles via les différents portails[7]. Les services numériques reposant sur ces différentes strates sont largement utilisés par les citoyens, les professionnels et les entreprises pour interagir et transiger avec les secteurs public et privés, et ont valu à l´Estonie une réputation de leader de l´eGovernment[8].
D´une manière similaire, en Moldavie, l’administration numérique repose sur plusieurs canaux : la plateforme unique des services publics (servicii.gov.md)[9], le MPass (service gouvernemental d'authentification et de contrôle d'accès pour les services électroniques)[10], le MSign (service gouvernemental de signature des documents électroniques)[11], le MCloud (plateforme commune de stockage des données accessible uniquement aux autorités administratives centrales)[12], le MPay (plateforme unique de paiement des services publics, d´impôts, taxes et amendes)[13]. Afin de centraliser ces services, la création des Centres de service public universel qui facilitera l´accès des citoyens aux services publics a été proposée le 2 novembre 2017[14]. De même, afin d´assurer le partage des données et l´interopérabilité entre les différentes administrations, un projet de loi, approuvé par le gouvernement le 24 janvier 2018, vise à établir le cadre réglementaire pour l'utilisation de la plateforme d'interopérabilité MConnect. La future loi réglementera l'échange de données, de ressources d'information et la procédure d'accès aux registres nationaux et aux bases de données pour toutes les entités publiques[15]. La plateforme d'interopérabilité facilitera l'échange électronique de données en temps réel entre les administrations publiques, améliorant ainsi l'efficacité et la qualité de la prestation de services publics sans exiger des données des citoyens et des entreprises sous forme de certificats, de rapports, etc.
En parallèle, afin d´améliorer la transparence et la responsabilité des acteurs publics, un système de déclaration en ligne des biens (E-integrity) a été mis en place depuis le 1er janvier 2018[16]. Il permettra aux fonctionnaires de soumettre électroniquement leur patrimoine et leurs déclarations personnelles en utilisant la signature électronique. À ce jour 58 080 déclarations d´avoir et intérêts personnels des fonctionnaires publics ont été déposées sur la plateforme E-integrity[17]. Ainsi, par rapport au nombre de déclarations déposées en 2017 sur un support papier, on peut constater en 2018 un doublement du nombre de déclarations déposées sous forme électronique sur la plateforme E-integrity.
Le gouvernement de la République de Moldavie, a aussi lancé le 18 janvier 2018, en partenariat avec le Groupe Banque mondiale, un projet de modernisation des services gouvernementaux, qui sera mis en œuvre conjointement par la Chancellerie d'État et le Centre de gouvernance électronique[18]. Le projet vise à améliorer l'accès, l'efficacité et la qualité de la prestation des services gouvernementaux en éliminant les services obsolètes, en diversifiant les canaux de distribution, en numérisant les processus pertinents, en réduisant le nombre de documents et les visites de visites. Dans ce contexte, un Conseil de coordination pour la modernisation des services gouvernementaux et l´e-transformation de la gouvernance a été approuvé par le Conseil des ministres le 21 mars 2018[19]. Le Conseil aura pour mission de coordonner les activités de modernisation des services gouvernementaux. En même temps, ses membres évalueront les progrès de la mise en œuvre de la réforme de la modernisation et de la prestation des services gouvernementaux et trouveront des solutions efficaces pour améliorer la qualité des services gouvernementaux.
Enfin, il faut signaler que la Roumanie a mis en place un modèle d´eGovernment très proche de celui de la Moldavie. Ainsi, en Roumanie, l´Agence pour un Agenda Numérique[20] est chargée de gérer et d´exploiter le système d’administration numérique[21], le système électronique de passation des marchés publics[22], le système d´information électronique pour l´assignation électronique des autorisations internationales de transport routier[23], le système national de paiement électronique en ligne[24], et le point de contact électronique unique[25].
B) Les difficultés de la mise en place de l’administration numérique en Moldavie
L´initiative gouvernementale pour un gouvernement électronique contribue indubitablement à la modernisation des services publics en Moldavie. Néanmoins, il est permis de constater que les différentes branches de l’administration numérique en Moldavie sont assez éparses. Dès lors, les citoyens appréhendent difficilement le fonctionnement de ces différentes branches. À cette difficulté s´ajoute l’existence d’une fracture numérique dans toutes ses formes (territoriale et humaine : sociale, culturelle, et générationnelle).
Aussi, malgré la connotation positive de l´initiative gouvernementale pour un gouvernement électronique, on constate sa mise en place tardive : une quinzaine d´années après la conception de la stratégie estonienne sur un gouvernement électronique. Or, l´Estonie et la Moldavie partagent le même passé soviétique puisque les deux pays sont des ex-républiques soviétiques. La différence entre les deux initiatives relatives à l’administration numérique s’explique le contexte de leur mise en œuvre. Alors qu´en Estonie, l’administration numérique visait à bâtir un État efficace et démocratique après la chute de l´URSS[26], en Moldavie la mise en place de cette réforme tient plutôt de l´affichage politique. Ainsi, il apparaît malheureusement que l´initiative moldave relative au gouvernement électronique est d´une efficacité minimale tout en constituant une façade et une promesse parmi d´autres du gouvernement actuel.
26 avril 2018
Pour citer : Alina POGURSHI, La réforme de l’administration numérique en République de Moldavie, IMODEV, 26 avril 2018, accessible à :
[1]http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=336235&lang=1, consulté le 28 mars 2018
http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=340301, consulté le 28 mars 2018
http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=342049&lang=1, consulté le 28 mars 2018
[2] http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=334627&lang=1, consulté le 28 mars 2018
http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=335746&lang=1, consulté le 28 mars 2018
[3] http://www.egov.md/en, consulté le 28 mars 2018
[4] http://www.egov.md/en/about, consulté le 28 mars 2018
[5] http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=342679&lang=1, consulté le 28 mars 2018
[6] http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=368355, consulté le 28 mars 2018
[7] H. Margetts and A. Naumann, „Government as a Platform: What can Estonia show the World?“ Oxford Internet Institute, University of Oxford, 28th february 2017, p. 2
[8] H. Margetts and A. Naumann, „Government as a Platform: What can Estonia show the World?“ Oxford Internet Institute, University of Oxford, 28th february 2017, p. 2
[9] https://servicii.gov.md/About.aspx, consulté le 28 mars 2018
http://lex.justice.md/viewdoc.php?action=view&view=doc&id=343406&lang=1, consulté le 28 mars 2018
[10] http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=351035, consulté le 28 mars 2018
https://mpass.gov.md, consulté le 28 mars 2018
[11] http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=353239, consulté le 28 mars 2018
https://msign.gov.md, consulté le 28 mars 2018
[12] http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=342616, consulté le 28 mars 2018
http://mcloud.gov.md, consulté le 28 mars 2018
[13] http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=343404, consulté le 28 mars 2018
https://mpay.gov.md, consulté le 28 mars 2018
[14]http://www.egov.md/ro/communication/news/centrele-universale-de-prestare-servicilor-publice-cups-vor-facilita-accesul, consulté le 28 mars 2018
[15]http://www.egov.md/ro/communication/news/aprobat-de-guvern-platforma-de-interoperabilitate-mconnect-va-facilita-schimbul, consulté le 28 mars 2018
[16] https://www.moldpres.md/en/news/2018/02/08/18001015, consulté le 28 mars 2018
[17] http://www.egov.md/ro/communication/news/58-080-de-declaratii-de-avere-si-interese-personale-ale-functionarilor-publici-au, consulté le 7 avril 2018
[18] http://www.egov.md/ro/communication/news/modernizarea-serviciilor-guvernamentale-servicii-eficiente-calitative-si, consulté le 28 mars 2018
[19] http://www.egov.md/ro/communication/news/guvernul-aprobat-regulamentul-consiliului-coordonatorilor-pentru-modernizarea, consulté le 28 mars 2018
[20] http://www.aadr.ro, consulté le 16 avril 2018
[21] http://www.e-guvernare.ro, consulté le 16 avril 2018
[22] http://www.e-licitatie.ro/Public/Common/Content.aspx?f=PublicHomePage, consulté le 16 avril 2018
[23] https://www.autorizatiiauto.ro/Portal, consulté le 16 avril 2018
[24] https://www.ghiseul.ro/ghiseul/public, consulté le 16 avril 2018
[25] https://edirect.e-guvernare.ro/SitePages/landingpage.aspx, consulté le 16 avril 2018
[26] Kitsing, M., “An Evaluation of E-Government in Estonia”, In: Internet, Politics and Policy 2010, An Impact Assessment Conference at Oxford University. [online] Oxford: Oxford Internet Institute, pp. 1-18. http://ipp.oii.ox.ac.uk/sites/ipp/files/documents/IPP2010_Kitsing_1_Paper_0.pdf, consulté le 16 avril 2018